retour au menu université de Lille CNRS Unisciel laboratoire PhLAM




Combien de couleurs y a-t-il dans un arc-en-ciel ?

Couleurs et langues

L'étude de référence sur la façon dont les langues appréhendent les couleurs est sans doute celle de Brent Berlin et Paul Kay, publiée en 1969¹. Dans cette étude, les auteurs utilisent la notion de termes fondamentaux de couleur. Il ne s'agit pas de couleurs fondamentales, mais de couleurs désignées par des termes fondamentaux, c'est à dire de couleurs identifiées en tant que telles, sans référence à un objet ou à une autre couleur. Des termes comme bordeaux, lilas, magenta, bleu ciel ou rose bonbon en sont donc exclus.

Portant initialement sur 20 langages parlés un peu partout dans le monde, leur étude montre que les termes fondamentaux de couleur sont communs à toutes les langues, et sont au nombre de 11 : blanc, noir, rouge, vert, jaune, bleu, marron, violet, orange, rose et gris.

¹ Basic Color Terms: Their Universality and Evolution, Brent Berlin and Paul Kay (CSLI 1999).

Tous les langages ne permettent pas de voir toutes les couleurs.

Brent et Kay montrent aussi qu'il existe une hiérarchie dans ces termes fondamentaux. Tous les langages contiennent des termes pour le blanc et le noir, mais certains n'en contiennent pas d'autres. C'est le cas par exemple pour les Jalé de Nouvelle-Guinée.

Quand un langage ne possède que trois termes fondamentaux de couleur, alors le troisième est le rouge. Plusieurs langages que l'on trouve en Mélanésie, en Australie, en Afrique ou en Amérique en sont à cette étape.

Dans une troisième étape de son évolution, un langage voit l'introduction d'un terme désignant le jaune ou le vert (la deuxième couleur, vert ou jaune, étant introduite à l'étape suivante). Par exemple, dans la langue Hanunóo (Philippines), le noir désigne le noir bien sûr, mais aussi le violet, l'indigo, le bleu, le vert foncé, le gris foncé et d'une façon générale les couleurs foncées. Le blanc désigne le blanc et les teintes claires de toutes les couleurs. Le rouge inclut, en plus du rouge, le marron, l'orange et le jaune. Et le vert désigne le vert clair, et les mélanges de vert, jaune et marron clair.

La cinquième étape ajoute le bleu, et la sixième le marron. Enfin, si un langage contient 8 termes fondamentaux de couleur ou plus, il contient un terme pour violet, rose, orange, gris, en partie ou en totalité. Cette évolution peut être résumée de la façon suivante :

Tous les langages arrivés à l'étape 7 n'ont pas 11 termes fondamentaux : par exemple, le cantonais n'en a que 8 (il manque le marron, le violet et l'orange), le catalon 9 (il manque le rose et l'orange) et le vietnamien en a 10 (il manque l'orange).

Cette étude ne fait que dessiner des grandes tendances. Les auteurs eux-mêmes avaient remarqué que certaines langues ne suivent pas ce schéma, comme par exemple le hongrois qui possède deux termes fondamentaux pour le rouge. Des études ultérieures ont montré que certains langages ne suivent pas ces règles. c'est le cas par exemple des langues inuits².

¹ Basic Color Terms: Their Universality and Evolution, Brent Berlin and Paul Kay (CSLI 1999).
²The colors of the Arctic, Michael Fortescue, AMERINDIA 38: 25-46, 2016.

Et en français ?

Les couleurs sont donc une question de langage, mais comme nous nous exprimons ici dans une seule langue, le français, nous devrions pouvoir nous entendre. Eh bien non, ce n'est pas si simple ! L'article Wikipedia sur les noms de couleurs recense un peu plus de 200 noms de couleurs. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg.

Par exemple, l'une des couleurs recensée dans cet article est la couleur lilas. Mais le nuancier RAL (utilisé notamment en déco) recense déjà 2 couleurs, le lilas rouge et le lilas bleu. La RATP qualifie la couleur de la ligne 8 de lilas¹.

Les philatélistes distinguent quant à eux les couleurs lilas, brun-lilas, lilas-brun, lilas-rose, rose-lilas (ci-dessous dans l'ordre cité)².

Dans le répertoire des couleurs pour aider à la détermination des couleurs des fleurs, des feuillages et des fruits paru au début du XXes, il est fait mention (dans cet ordre) des couleurs lilas violacé, lilas, lilas saumoné, lilas de Perse et lilas rougeâtre, avec 4 tons différents pour chaque couleur.³

Avant de pouvoir répondre à la question posée par ce mini-mooc, il faudrait donc s'entendre sur ce que sont les couleurs. Heureusement, pour le physicien, il n'y a aucune ambiguïté : en physique, les couleurs ne sont pas désignées par des noms, mais par des nombres résultant d'une mesure.

¹RATP_26.04.18-norme-couleurs ratp-RVB
²D'après les catalogues Yvert et Tellier. Voir par exemple le site de Phil-Ouest.
³Répertoire des couleurs pour aider à la détermination des couleurs des fleurs, des feuillages et des fruits, publié par la Société française des chrysanthémistes et René Oberthür. Disponible sur Gallica. Les couleurs affichées sur l'exemplaire Gallica sont manifestement défraichies, soit parce que le livre a mal vieilli, soit parce que le scanner était mal réglé. Les couleurs reproduites ci-dessus sont reconstituées à partir de celles des fleurs données en exemple dans le livre. Mais compte tenu de l'augmentation de la diversité des tons de fleurs depuis la parution du livre, rien ne garantit que les teintes ci-dessus correspondent à celles d'origine.